– Dans la ville de Jindrichuv Hradec, reprit Chvéik, il y avait dans le temps un charcutier du nom de Joseph Linek et il avait deux boîtes sur une étagère. Dans l'une, un mélange d'épices qu'il mettait dans le boudin et les andouillettes, dans l'autre de la poudre contre les insectes, car le charcutier avait appris que plus d'une fois ses clients avaient croqué des punaises ou des cafards dans ses saucisses. Il disait toujours que pour ce qui est des punaises, elles ont le goût épicé des amandes amères qu'on met dans les gâteaux, mais dans la charcuterie les cafards, eux, puent comme de vieilles bibles moisies. C'est pourquoi il veillait à la propreté de son atelier et mettait partout de la poudre contre les insectes. Un beau jour, il faisait le boudin et avait un rhume. Il a attrapé la boîte avec la poudre contre les insectes et l'a versée dans la farce du boudin. Depuis ce temps-là, les gens de Jindrichuv Hradec n'allaient plus que chez Linek pour acheter du boudin. Et lui, il était malin, il a fini par comprendre que c'était rapport à la poudre contre les insectes et il s'est mis à commander contre remboursement des caisses entières de poudre, ayant préalablement demandé à la firme qui la lui vendait de marquer sur les caisses "Épices des Indes".
(Jaroslav Hašek, Dernières Aventures du brave soldat Chvéik, trad. C. Ancelot).